Du nudge pour réhabiliter les échanges humains
ou : imaginer des scénarios qui favorisent partage et discussions réelles à l'heure des plateformes numériques
Connaissez-vous le concept de netskam ? Extrapolé du mot suédois flygskam qui désigne le sentiment de honte lié au fait de prendre l’avion, le netskam pourrait se définir comme le sentiment de honte d’avoir recours à des plateformes digitales pour des tâches qui n’en nécessitent pas forcément l’usage. On pourrait illustrer cela de différentes façons : dégainer son smartphone pour chercher une information dont on n’a pas vraiment besoin, utiliser le même smartphone pour vérifier les horaires de bus alors que l’on se trouve devant l’arrêt de bus ou encore commander un repas sur une plateforme de livraison alors que le restaurant est au bas de la rue.
Le netskam peut avoir plusieurs causes. On parlera par exemple de l’impact écologique de nos actions numériques, un impact qui empire avec le recours aux intelligences artificielles et la multiplication des datacenters qui les alimentent. Difficile de soutenir que l’ensemble des utilisations des IA génératives sont légitimes, et que la majorité d’entre elles ne pourrait pas être remplacée par une production organique de contenu ou par, simplement, une absence de nouveau contenu. Un beau cas de netskam une fois cette prise de conscience effectuée. On peut également parler de l’impact sociétal du numérique, comme celui d’Amazon sur les commerces de proximité : commander des livres sur Amazon alors qu’une librairie est ouverte en bas de chez soi, voilà un bel exemple de netskam tel que l’illustrait The New Yorker sur sa couverture du 9 juin 2008.
Des messages pour changer les usages
Dans un exercice de fiction, il y a quelques années, j’avais imaginé comment le netskam pouvait devenir l’objet d’un enjeu de santé publique. À la manière des campagnes et messages de prévention devenus obligatoires sur les publicités de l’industrie automobile, ou plus drastiquement sur les paquets de cigarettes, pouvait-on imaginer des messages obligatoires sur les emballages de nos smartphones neufs ou dans les interfaces des outils et réseaux que nous utilisons chaque jour, y compris professionnellement ? Ainsi fleurissaient des messages du type :
“Les émissions de données de cet appareil sont autant d’émissions de CO₂ pour l’environnement, gardez-en un usage modéré.”
ou
“Avant d’utiliser ce logiciel, pensez à préparer votre travail hors-connexion, vous économiserez de l’énergie et contribuerez à préserver la planète.”
Des messages qui s’associent naturellement avec des recommandations d’usages alternatifs des outils numériques : supprimer régulièrement les fichiers que l’on n’utilise pas, préférer dans certains cas le stockage en local au cloud, etc.
Des messages qui ne sont pas si éloignés que ça des analyses et recommandations que peut porter l’Ademe ou des petites saillies politiques sur la responsabilité numérique et environnementale des individus. Des messages qui reportent la responsabilité de l’usage sur les particuliers plutôt que sur les industriels qui déploient ces infrastructures. Mais ça, c’est un autre sujet.
Éviter les excès
Mais au-delà du phénomène, encore assez fictionnel, de netskam, les outils digitaux ont bel et bien changé nos usages. Notamment en entreprise où les logiciels de messagerie instantanée et de visio-conférence ont pris le pas sur des nombreux autres types d’échange. Et pas toujours pour le meilleur. On délaisse ainsi parfois l’e-mail pour une série de messages instantanés qui ne compensent pas toujours en réactivité ce qu’ils perdent de synthèse ou de profondeur d’analyse. On se retrouve parfois, au sein d’un même open-space à participer à la même visioconférence alors qu’une salle de réunion est peut-être libre un peu plus loin dans les locaux. Vous avez, si vous travaillez dans des bureaux, constaté comme moi ces usages autours de vous.
L’idée n’est pas de critiquer gratuitement ces nouveaux outils, ni même ces nouveaux usages. Les plateformes comme Teams, Slack, Zoom, ont permis une meilleure mobilité des équipes et une collaboration bien plus étroite des équipes à distance que ne l’avait fait par exemple l’e-mail seul. S’ils sont associés à une certaine rigueur et discipline, ils peuvent être de véritables atouts pour les équipes au quotidien.
Non, comme partout, c’est l’excès qui peut devenir source de nuisance. C’est quand ces outils deviennent l’alpha et l’oméga de la communication interne qu’ils peuvent poser problème, et surtout quand ils se mettent à remplacer toute autre forme de communication et d’échange. On trouve régulièrement sur les réseaux sociaux cette anecdote de la panne survenue inopinément – comme toutes les pannes – ou contre laquelle l’intervention d’un collègue est indispensable. Collègue que l’on tente de joindre via l’outil de messagerie de l’entreprise mais dont la réponse tarde. Témoignage accompagné d’une grande leçon d’entreprenariat : le téléphone fonctionne bien mieux que Microsoft Teams en cas d’urgence. Si vous ne devez retenir qu’une seule leçon de ce long article.
Dans l’histoire des technologies, il est pourtant rare qu’un outil – hors à inventer un tout nouvel usage – ait totalement remplacer ses prédécesseurs. Slack n’a ainsi pas, contrairement aux prédictions, tué l’e-mail. Tout comme l’e-mail n’a pas tué les réunions – même si certaines réunions pourraient très bien se résumer à un e-mail.
Comment, dès lors, inciter les équipes à utiliser la multiplicité des moyens de communication à leur disposition, et surtout à choisir le meilleur dispositif en fonction de l’urgence ou de la nature de la communication.
Informer et inciter
Revenons donc au netskam dont on parlait au début de ce billet. Parmi les messages imaginés pour prévenir des excès du numérique, on avait pensé à ce type d’encart sur les canaux de messagerie individuelle d’une plateforme comme Slack :
“Vous travaillez dans les mêmes locaux ? Privilégiez toujours les échanges physiques, ils sont moins consommateurs en énergie.”
Peut-on imaginer, sur cet exemple, des incitations et des invitations à modérer ses usages en entreprises, ou mieux, des techniques de nudge marketing permettant aux utilisateurs de percevoir les bénéfices d’autres modes de communication ?
Un exemple, les statuts des employés sur les plateformes collaboratives permettent de savoir si celui-ci est actuellement connecté ou non. Une extension simple de ce genre d’information pourrait très bien vous indiquer si votre contact est actuellement à distance – en télétravail, chez un client, etc. – ou dans les locaux à quelques mètres de vous. Une incitation à vous déplacer plutôt qu’envoyer un énième de message en ligne. Imaginé plus Pour les grandes entreprises pratiquant le flex-office, cette information serait complétée d’une idée plus précise de la localisation de votre interlocuteur – étage, zone… - surtout si celui-ci est à proximité. Information fournie automatiquement par le dock informatique sur lequel celui-ci s’est connecté le matin même.
Dans le même ordre d’idée, la programmation des réunions peut être l’objet d’incitation à tenir des réunions physiques : la fonctionnalité d’invitation des participants pourrait être synchronisé à la fois avec l’annuaire des équipes – permettant de savoir que l’ensemble des invités sont de la même équipes ou d’équipes proches et sont donc susceptibles de travailler dans les mêmes bureaux – et le planning de télétravail – afin de s’assurer de la présence physique de chacun d’eux. La suggestion automatique d’une salle de réunion dont la dimension correspond au nombre de vos invités – vos salles de réunion sont bien entendu indexées dans l’annuaire de l’entreprise, non ? – finit d’inciter vos collègues à se croiser physiquement.
On imaginera encore bien d’autres options. Une information des préférences quant au type de contact favori de vos interlocuteurs –"Je préfère qu’on m’appelle", ou "Je préfère qu’on me contacte via WhatsApp" – liée à un annuaire détaillé des modes de contact possible. Plus radical encore, un créneau de déconnexion recommandé pendant lequel les échanges ne peuvent se faire par voie(x) électronique. L’idée derrière cela étant de remettre du lien et de la diversité dans nos échanges professionnels du quotidien.
Les usages à imaginer peuvent encore être nombreux.
Et si on en parlait ?
En vrai. 😉