Ouvrir le débat sur la responsabilité politique des agences digitales
ou : comment prendre conscience et faire prendre conscience de l'impact global de nos actions, en tant qu'agences et acteurs centraux de la chaîne de décision du numérique ?
Même à présent que le plus gros de l’onde de choc est passé, il reste difficile de se maintenir l’illusion que tout cela n’est pas politique.
Tout ça ? Les outils informatiques que nous utilisons au quotidien. Les plateformes sur lesquelles nous nous exprimons. Les architectures techniques sur lesquelles reposent les intranets ou les sites Web de nos entreprises et de nos institutions. Les régies et réseaux sur lesquels s’expriment nos marques. Les intelligences artificielles que l’on teste juste pour s’amuser et qui font l’objet de débats et de négociations juteuses depuis le début du mois.
Tout, finalement, tout notre environnement technologique est politique.
Oh. On le savait, bien entendu. Mais peut-être trouvait-on encore confortable de maintenir autour de tout cela une petite illusion. Un léger détachement. “Ce ne sont que des outils.” – “La technologie est neutre, vous savez.” – “Ce sont les usages, pas les programmes informatiques, qui peuvent éventuellement poser problème.”
Et pourtant. Si les évènements de ces dernières semaines – voire de ces derniers mois ou années – résonnent autant pour nous, professionnels du numérique qui avons grandis avec l’explosion du Net, c’est qu’ils finissent de lever le voile sur cette vérité que l’on connaissait déjà, que beaucoup à côté de nous clamaient depuis longtemps : oui, certaines plateformes numériques servent des projets politiques avec lesquels nous ne pouvons pas, nous ne pouvons plus, être en phase.
En voilà, une façon bien grave de démarrer un article.
C’est vrai.
Mais les actions des dirigeants des géants du numériques ces dernières semaines, aux USA ou ailleurs, et les images partagées en boucle dans la presse et sur les réseaux sociaux obligent à sortir de cette réserve que l’on conservait peut-être un peu paresseusement. Et en ces temps incertains, les annonces orientées-business ont de plus en plus de mal à couvrir des réalités sociales, sociétales et environnementales dont les causes sont à chercher dans le développement économique et technique, parfois à outrance, parfois en dépit de l’humain, des plateformes technologiques.
Alors voilà.
En tant qu’agence, il semble important aussi de prendre la parole.
D’abord, parce que Chez Mon Oncle, et du haut de notre petite histoire et de notre longue expérience, nous avons toujours été de fervents adeptes du logiciel libre, et des plateformes open source.
Notre histoire, il y a longtemps déjà, s’est bâtie sur les sujets d’accessibilité aux espaces numériques. Et le choix d’utiliser des logiciels libres fait partie de ce sujet d’accessibilité. Un logiciel libre, un CMS open-source, c’est une meilleure accessibilité des développements, un partage des bonnes pratiques, un meilleur accès aux mises à jour et souvent à la sécurité. C’est une façon de continuer à partager notre envie d’un Internet le plus libre et le plus ouvert possible.
Depuis longtemps, les équipes de Mon Oncle utilisent donc, et soutiennent, les CMS libres comme TYPO3, WordPress, Drupal et d’autres solutions encore. Et nos recommandations, le plus possible, vont dans le sens de ces outils quand il s’agit de créer, développer, produire les plateformes de nos clients. Conscients également que tout projet ne nécessite pas d’énormes ressources, nous étudions des solutions de production de sites alternatives, comme les CMS basés sur le markdown PicoCMS ou Hugo – et ne faisant donc pas appel à une base de données. Avec l’idée, encore une fois de contribuer à déployer, brique par brique, un Web utile, mais également simple et pourquoi pas frugal.
Convaincus qu’un numérique utile est un numérique qui s’adapte à tous et à chacun, nous travaillons depuis voilà 20 ans en prenons en compte les logiques d’accessibilité des services numériques – la préhistoire de Mon Oncle s’étant bâtie sur la loi de 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, et plus particulièrement sur ses articles abordant l’accessibilité des services numériques.
Tous ces développements, ces soutiens au monde de l’open-source sont toujours importants aujourd’hui. Importants pour soutenir l’Internet qui nous tient à cœur. Important également car ils sont les signes d’une indépendance voulue aux géants de la tech et à leurs projets politiques.
Mais est-ce qu’aujourd’hui, cela suffit encore ?
Il est bien entendu des pans entiers de projets où cette indépendance est plus difficile à conquérir, ou à revendiquer. L’hébergement de nos clients dépend parfois d’acteurs hégémoniques et centralisateurs, et il n’est pas toujours en notre pouvoir de le challenger. Les phases de création ou de conception dépendent souvent d’outils fermés, tant la mainmise des géants de la tech est historique sur ces étapes de notre métier. L’achat média est un sujet autrement plus épineux. Et difficile de tester les usages possibles de l’intelligence artificielle dans notre quotidien sans user des plateformes dont on dénonçait les positions politiques au début de cet article.
Le débat sur l’intelligence artificielle va d’ailleurs bien plus loin que ça, on y reviendra certainement.
Oui, il y a encore des efforts à faire, qu’il s’agisse de renforcer nos positions pour un internet plus ouvert et libre, plus respectueux des valeurs humaines et de l’environnement, ou de s’affranchir des dépendances que nous entretenons toujours. Nous ne sommes pas parfaits. Loin de là.
Mais peut-être faut-il également que nous fassions plus d’efforts, nous, chez Mon Oncle, mais aussi dans le monde des agences de design numérique au global, pour sensibiliser nos clients aux impacts politiques de nos, de leurs, choix.
Ainsi, comme il existe des normes dédiées à l’accessibilité, des indicateurs quant à l’impact écologique des outils numériques et guidant l’écoconception, peut-être peut-on imaginer une jauge d’indépendance de nos propositions et de nos projets.
Cette plateforme, telle que nous vous la proposons, est à 87% indépendante des GAFAM et repose sur un socle open source à 83%.
Une jauge qui s’accompagnerait d’un regard critique sur les lacunes de nos propositions : les fonctionnalités dont un équivalent ouvert n’existe pas, ou les dépendances techniques et logicielles à l’architecture – fermée – du client.
Un effort d’affichage qui n’irait pas sans un effort pédagogique : expliquer les points d’amélioration de sa démarche, les points d’amélioration du projet et de l’architecture même du client, et surtout le pourquoi de cette démarche dans l’écosystème numérique, politique, social actuel.
Militer ? Oui, militer.
Bien entendu, prestataires de service, nous ne pouvons aborder cette démarche de manière isolée. Celle-ci n’a de sens que si une part significative des acteurs du design numérique l’adopte – et heureusement, ils sont déjà quelques-uns à le faire. Elle n’a de sens également que si elle est comprise par nos clients, nos donneurs d’ordre, et soyons optimistes : si elle devient une clé de lecture à part entière de leurs projets. Voire un critère de choix entre prestataires, sans doute pas éliminatoire, mais à tout le moins existant.
Qu’est-ce qu’on y mettrait dans cet indicateur ? Diverses choses comme
l’usage de solutions open-source, et en miroir le recours à des plateformes fermées et dépendant des grandes entreprises de la Silicon Valley
la localisation des solutions retenues pour l’hébergement, le stockage des données statistiques, etc.
les plateformes médias et sociales recommandées pour la promotion du projet dans le cadre d’une campagne de communication ou d’achat média.
Et puis, des données plus globales sur la façon dont nous, professionnels de la communication et du numérique, orientons les usages :
les actions de soutien effectif aux communautés ouvertes,
les territoires d’expression utilisés pour la promotion de l’agence,
les outils utilisés en interne pour les développements ou la gestion de projet.
La liste est loin d’être exhaustive, elle n’est qu’une ébauche des éléments qu’il semble possible de prendre en compte.
Le but n’étant, en aucun cas, d’être parfait ou de s’imposer en donneur de leçon – personne je pense ne peut prétendre à la perfection dans ces domaines, tant la mainmise des géants du numérique est grande sur nos pratiques professionnelles quotidiennes – mais d’ouvrir le débat, la discussion, et les esprits sur un sujet qu’il est temps d’aborder : l’impact politique des projets de nos clients et de nos réponses à ceux-ci.
Car oui. Finalement.
Tout cela est politique.